victime de viol

À mon violeur qui m’a offert la seule chose qu’il avait : sa souffrance

victime de viol

Attention, ce texte est un témoignage de viol et comporte des propos qui pourraient choquer ou heurter certaines lectrices et/ou raviver des traumatismes chez des personnes ayant été victime d’agression sexuelle. 

J’ai une colère, une boule dans la gorge, qui m’envahit dès que je me sens fragile et fatiguée. Nous en avons entendu des centaines, voire des milliers, des histoires de femmes agressées sexuellement. Ayant vécu un viol. Nous ne sommes pas seulement des victimes. Nous sommes des femmes, des professionnelles, des mères, des amies et des amantes. Cette colère que je vis n’est pas seulement dirigée envers mon agresseur. Mais envers la société, qui, je trouve, a si mal géré la situation.

Ce soir-là, j’allais aider une collègue à emménager avec toi. Je ne te connaissais pas. Je ne t’avais même jamais vu. Tu étais son frère puant la cigarette dont l’haleine aurait repoussé la ville au grand complet. J’ai vu tes yeux et j’ai compris que tu allais mal, tellement plus mal que ce que tu m’as fait.

Cette nuit-là, j’étais trop fatiguée pour retourner chez moi. Ça a été une grosse soirée. J’ai dû consoler ta sœur qui avait enfin décidé de se sortir de sa situation de violence conjugale devant toi qui consommais des drogues, assis, à la table, avec cette odeur qui sortait de ta bouche et qui me levait le cœur chaque fois que j’inspirais pour réconforter celle que j’étais venue aider.

Je me suis assoupie sur le sofa, juste une heure, peut-être deux. J’étais allongée le visage contre le dossier quand tu es arrivé en silence, mais je l’ai senti, cette haleine, ton haleine. Tu t’es couché, partiellement nu, dans mon dos et tu m’as chuchoté à l’oreille « Ne bouge pas, il ne faut pas réveiller ma sœur ».

J’ai fermé les yeux et mon coeur s’est mis à battre aussi fort que lorsque je jouais à la cachette dans le noir avec mes cousins et mes cousines chez mes grands-parents, enfant. Je détestais ce jeu, ça me faisait tellement peur.

Il ne t’a fallu que peu de temps pour t’insérer dans mes fesses. J’ai figé en hurlant de douleur intérieurement. Tu as mis une main sur mon bassin puis l’autre sur mon épaule. Ça me faisait tellement mal. Tu me faisais mal. Mes pensées, à ce moment précis, étaient brouillées. Par la peur ? La douleur ?

Cette haleine, ton haleine.

J’ai pensé que ce serait bientôt terminé sans que l’idée que tu me tues ne me quitte.

Puis tu t’es glissé dans mon vagin. Mon anus s’est resserré. Par tes coups de bassin, je t’entendais crier ta souffrance. Impuissante, maintenant toute molle, résiliente, acceptant l’inacceptable, j’ai fermé les yeux et j’ai imaginé mes enfants faire du vélo dans la cour pendant que mon amoureux lavait les voitures. Une scène si banale qui me faisait tellement de bien dans toute ma souffrance. J’ai senti une larme couler sur ma joue. Une seule larme d’espoir que tout s’arrête.

Mon souhait est devenu réalité quand tu t’es retiré, me laissant là, avec du sperme partout, les shorts aux genoux. J’étais maintenant aussi répugnante que l’effluve de ta bouche. Aussi souffrante que ton regard, aussi étourdie que ta consommation de drogues. Nous étions pareils.

Je suis resté couchée comme ça pendant une heure. J’ai attendu, en silence, le regard vide, la tête toujours tournée contre le dossier du sofa. Puis je me suis levée. C’était le matin. Mon conjoint allait se baigner avec les enfants chez ma mère cette journée-là. Je suis allée les rejoindre et j’ai été d’une normalité déroutante.

Ce n’est que quelques jours plus tard que l’événement a rebondi dans ma tête et que je me suis rendue à l’hôpital, sans me poser de questions, sur le pilote automatique. Les infirmières m’ont dit que j’aurais dû venir dès que l’agression s’était terminée, que maintenant ça allait être difficile pour elles de m’aider. Je ne savais pas quoi leur répondre et je me sentais coupable de rendre le processus plus compliqué puisque ça serait maintenant plus difficile pour l’équipe de trouver le sperme et des preuves physiques. Puis une infirmière m’a dit : « Heureusement, vous avez plusieurs fissures anales et quelques traces vaginales qui vont nous permettre de compléter le dossier. »

Heureusement ? me suis-je dit. Heureusement.

Après, je suis allée voir mon amoureux au travail, j’ai éclaté en sanglots et lui, de rage. Contre cet homme, cette perversion, contre la gravité de mon agression.

J’ai porté plainte et il a été arrêté. Pour possession et revente de drogues. Pas pour m’avoir violée parce qu’aux dires du policier, mon agression était « la cerise sur le sundae ».

Je n’ai pas été capable d’aller à ma première rencontre au CLSC pour les victimes d’agressions sexuelles. Je préférais écrire pour débuter avec mon intervenante plutôt que de la rencontrer en personne. J’avais honte. Elle a refusé de procéder de cette façon et m’a proposé de fermer mon dossier puisque plusieurs autres femmes attendaient pour cet accompagnement et que je ne respectais pas les normes du système.

Je me suis sentie seule, abandonnée et rejetée. Ironiquement, toutes les mêmes blessures qui m’habitent depuis mon enfance.

Le temps a passé et j’ai trouvé la force de me soigner. Mon corps est guéri, mon cœur a moins mal.

Je me suis promis de tout faire pour que mes deux garçons soient proféministes, respectueux et bienveillants.

Merci à la musique d’exister, de m’apaiser;
Merci à mon amoureux, Jean-Michael, d’être là jour après jour;
Merci à mes deux enfants, Liam et Éloi;
J’ai hâte à cet été, pour vous regarder faire du vélo pendant que votre papa lavera les autos.

Patricia Sabourin

Crédit : Tinnakorn jorruang/Shutterstock.com

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