Je suis enseignante et j’aimerais dire que ça va bien dans les écoles. J’aimerais dire que je vais bien. Mais ce serait mentir. Et mentir, c’est contre mes valeurs. Derrière mon sourire et mon énergie positive se cache une personne parfois essoufflée, souvent découragée, et plus qu’épuisée. Je travaille sans relâche pour que tous mes élèves puissent vivre des réussites. Mais force est d’admettre que je ne vais pas bien.
J’adore les enfants. Je me dévoue à la tâche chaque jour qui passe et ce, depuis plusieurs années. Je suis une amoureuse des contacts humains, je suis avide de connaissances et je tente chaque jour de partager ma passion avec ces petits humains qui croisent mon chemin.
Mais cette année, je ne vais pas bien. Chaque minute qui passe, ou presque, je me demande comment je vais trouver la force, le courage, la motivation et l’envie de continuer.
Du jour au lendemain, on a tué mon amour pour mon travail, tant chéri, consciencieusement choisi. On a éteint, au nom de la santé et de la sécurité, ce feu sacré qui brûlait en moi pour ce métier si noble et si essentiel à la fois. On a enlevé les couleurs à mon métier. Petit à petit, il a perdu son éclat et a laissé place à cinquante nuances de beige et c’est uniquement à travers le sourire des enfants et le support des parents que je puise la force qui me permet de tenir encore bon.
Du jour au lendemain, j’ai dû commencer à compter. Compter mes heures, ce que je n’avais jamais fait, car ma santé physique et mentale en dépendaient. Tout comme les nombreux élèves en difficulté que je côtoie chaque jour qui se lève, je me sens de plus en plus vulnérable.
Du jour au lendemain, j’ai cessé d’avoir ces contacts humains qui me sont si chers, du temps pour les confidences, les accolades, les projets qui me font vibrer, qui m’ont fait choisir cette profession, qui ont fait d’elle une véritable passion. Au lieu de cette lumière qui habitait mon regard, je me lève un peu plus tard chaque matin, le coeur gros, rempli d’angoisse, une angoisse qui parfois m’empêche de dormir tranquille. Je garde cependant la tête haute, pour les enfants. J’y mets toute la gomme. Mais la gomme est si énorme que la bulle risque d’éclater. Bientôt. Et ça risque de ne pas bien aller.
Je suis enseignante et je ne vais pas bien.
Du jour au lendemain, on m’a bousculée d’un local à l’autre, sur plusieurs étages, parfois dans de multiples écoles. On m’a fait des promesses qu’on n’a pas tenues. On m’a obligée à travailler plus. À surveiller plus. À planifier moins. À innover au minimum. Au nom d’une protection qui allie contradictions et incohérences. Nous devrions faire partie d’une seule équipe qui avance vers le même but, alors que j’ai le sentiment profond que les rames sont du même côté et que notre bateau appelé réseau scolaire tourne en rond.
Je suis enseignante et j’ai peur.
J’ai peur parce que du jour au lendemain, on a fait une croix sur nos acquis, sur les choix des jeunes, sur leur estime d’eux-mêmes. Au nom d’une bulle qui éclate à répétition sur vingt-quatre heures, au nom d’un sentiment d’appartenance à un local sans fenêtres, au nom de liens tissés de manière forcée entre des enfants qui ne demandent qu’à explorer un monde coloré qui leur est exposé sur un écran en noir et blanc.
J’ai peur de me rendre au travail parce qu’on joue à la roulette russe avec ma santé, mentale et physique, celle des jeunes et par conséquent, avec la tienne et celle de tes proches.
Je suis enseignante et je ne vais pas bien.
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LA COLLABORATRICE DANS L'OMBRE |
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