sleeping mom

Merci de ne pas me dire que j’ai l’air fatiguée

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À toi qui as rencontré ma face cernée,

J’ai une petite nouvelle pour toi : toute opinion n’est pas bonne à dire. Apprends à fermer ta trappe des fois. Ce qui se passe entre tes deux oreilles, ça peut rester là. Surtout quand ça concerne ma face.

Quand on s’est croisées au centre d’achats pis que tu m’as garroché avec un air catastrophé que « oh-mon-Dieu-t’as-l’air-VRAIMENT-fatiguée », ben t’aurais pu fermer ta trappe. Tu m’aurais frappée avec une pelle dans le front que ça n’aurait pas fait plus mal. Sans blague, te faire poser un filtre, y as-tu pensé? Parce que pour gâcher la journée de quelqu’un, t’es pas pire pantoute. À voir la face que t’avais en me disant à quel point la mienne faisait pitié, c’t’encore étonnant que mes propres enfants n’aient pas peur de moi.

Tu sais quoi? Je le sais que je suis fatiguée. Je m’en rends compte en me levant le matin. J’ai zéro besoin de me le faire dire haut et fort en public parce que toi t’as eu un choc émotif en me voyant la face.

Ça fait juste quelques mois que j’ai accouché, pis avec la marmaille j’ai comme pu trop le temps de me poupouner avant de sortir faire mon épicerie. Mais t’sais, me faire dire que j’ai l’air d’avoir fessé un mur quand je suis pas maquillée, ça me gosse solide.

Pis en même temps, j’ai tellement pas d’affaire à me justifier du pourquoi j’ai cette face-là. C’est toi qui manques légèrement de savoir-vivre.

T’as le droit de trouver que j’ai l’air d’avoir passé les deux dernières années accrochée sur la corde à linge pendant qu’il pleut. Mais t’as pas le droit de me le dire.

En fait, oui, t’as le droit. Mais juste si t’es ma mère ou ma meilleure amie. Parce qu’elles, elles sont là pour ça. C’est leur job. Pis en plus, elles savent choisir le bon moment pour m’en parler, pis en général c’est sur un ton humoristique autour d’un verre de vin. Mais même elles, des fois, elles décident de se fermer la trappe quand elles sentent que leurs remarques pourraient me faire de la peine.

Alors imagine comment toi, la madame que j’ai croisée à peu près cinq fois dans la dernière décennie, t’as pas d’affaire à commenter l’état de ma décrépitude. En tout cas, pas directement dans ma face. T’en jaseras avec ton chum en soupant à soir au pire. Peut-être que mes cernes vont l’intéresser, sait-on jamais.

En même temps, je veux que tu saches que tu n’es pas la seule à avoir de la difficulté à fermer ta bouche quand c’est le temps. T’es pas la reine du manque de délicatesse, bon nombre de p’tites madames pis de p’tits monsieurs te font cruellement compétition.

Comme la fois où cet homme m’a dit – pendant que j’étais enceinte jusqu’aux dents – que c’était impossible que je reperde tout ce poids-là un jour. Pis que je devrais avoir peur.

Ou la fois où ce gars – qui clairement me cruisait long comme le bras depuis une bonne heure – m’a dit que je serais vraiment belle si je n’avais pas toute cette cellulite.

Pis cette autre fois où une femme m’a lancé en pleine gueule que j’étais pas mal plus belle avec du rouge à lèvres.

Toutes de belles occasions où les gens auraient dû apprendre à se fermer la trappe.

T’sais, quand on s’est croisées, j’ai peut-être pensé que t’avais pris pas mal de poids dernièrement ou que la calvitie de ton chum avait vraiment empiré. Mais tu ne sauras jamais si je l’ai vraiment pensé ou pas.

Parce que je me suis fermée la boîte avec ça. Question de ne blesser personne.

Mais tu sais quoi? Je viens tout juste de me commander un t-shirt sur les zinternets – il y a du bon aussi là-dedans – sur lequel il est inscrit : « Oui, je sais que j’ai l’air fatiguée ».

Ça devrait t’aider.

Audrey Roy

Crédit : Nomad_Sou/Shutterstock.com

Audrey Roy

Super-maman de trois enfants dans la trentaine avancée, directrice en chef de ma famille reconstituée (presque) parfaite, ma vie est une source inépuisable de délires familiaux à écrire. Étant une ex-abonnée de l'organisation extrême, le petit dernier m'aura appris que le lâcher-prise est une valeur sûre pour survivre à mon quotidien. Fière mère indigne, écrire est pour moi un véritable plaisir coupable. Au plaisir de vous faire sourire (et de vous faire sentir moins seules dans vos tourments).

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