teddy bear on the floor

Le jour où je t’ai renvoyé chez toi

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Cette année,  tu aurais eu seize ans. Tu terminerais probablement ton secondaire cinq.  À ce moment-ci, nous en serions  peut-être à te magasiner ta tenue de bal, à gérer tes premières jobs, à se jaser de tes amours ou même… à s’obstiner sur le ménage de ta chambre.

Parfois, je t’imagine garçon.  Grand, avec mes yeux. Un petit homme qui aurait vieilli en même temps que moi. Qui ressemblerait probablement à ses frères.  D’autres fois, tu es ma fille.  Celle que je n’ai jamais eue. Une mini moi que je ne retrouve pas à travers mes garçons. Une Drama Queen, une studieuse, une lunatique ou une petite rebelle. Ma notion des relations mère-fille étant un peu déficitaire, tu m’aurais certainement fait travailler sur moi…

Depuis ce temps, je me répète que c’est le meilleur choix que j’ai fait. Que je n’avais pas vraiment d’autres solutions. Depuis toujours, je me fais accroire dans mes discours que je n’y pense pas, que cela ne fait plus vraiment partie de moi. Dans le fond, ça fait maintenant tellement longtemps.

Pourtant, je dois l’admettre, chaque mois de juillet, j’ai une pensée pour toi…

Dans la société et l’époque dans laquelle on vit, il faut se le dire : c’est un privilège que de pouvoir choisir le moment où l’on deviendra maman. C’est une chance que de pouvoir prendre la décision de retourner chez lui, ce petit être qui a pris racine trop tôt dans notre corps.

Mais même si je sais que c’était le geste le plus logique à poser pour moi à ce moment-là, je n’y échappe pas. Il m’arrive de rêver à toi.

À chaque mois de juillet, comme le printemps qui renaît, mes souvenirs de ton départ surgissent. Après tout ce temps, j’arrive encore à ressentir mes émotions et les sensations que cette intervention a laissé sur mon corps, dans mon cœur…

Comment oublier cet état de vapes dans lequel on m’a plongée ? Comment ne pas se rappeler de cette sensation qui envahissait mon corps déjà changé ? Le bruit… ce bruit qui me donnait l’impression qu’on t’aspirait ailleurs, qu’on nettoyait  mon corps, comme si je l’avais sali. Cette sensation de vide dans mon bas-ventre que j’ai ressentie lorsque tout a été fini. La peine dans mon cœur.  Cet engourdissement dans mes jambes, ce sentiment de faiblesse…

Oui, j’ai été trop faible pour assumer ta présence précipitée dans ma vie. Trop faible pour ne pas te faire subir mon manque de prudence. Trop faible pour penser que j’aurais eu la capacité d’être ta mère et de réussir ce rôle.

On m’a pourtant répété que j’avais été forte, que j’avais fait le bon choix. Parfois j’y crois. Ça me rassure de me dire que c’est par amour que je l’ai fait. Oui, c’est la seule raison pour laquelle j’ai pris cette difficile décision.

J’ai choisi de te renvoyer chez toi, mon ange, parce que je me suis dit que justement, tu n’avais pas à subir tout ça.

J’ai longtemps été capable de vivre sans trop penser à toi. Jusqu’au jour où j’ai choisi de devenir maman. Ce jour-là, quand j’ai compris ce que j’étais capable de créer, quand j’ai compris tout l’amour qui émanait de moi pour un petit être, je m’en suis voulu. Je m’en suis voulu de t’avoir renvoyé chez toi… Je m’en suis voulu d’avoir douté de moi.

Évidemment, ma vie ne serait pas la même si j’avais fait les choses différemment. Je ne crois pas non plus que ça aurait été facile. Je dis seulement que je ne le saurai jamais. La seule conviction que j’ai face à ce que je t’ai fait subir est  que je devrais tout de même continuer de grandir en ne te voyant pas le faire.

À ton mon étoile, j’ai besoin de te dire, même après tout ce temps, que j’aurai toujours une parcelle de mon cœur qui sera partie, le jour où j’ai décidé que tu devais quitter ton nid…

Crédit : Tapui/Shutterstock.com

La Collaboratrice dans l'Ombre

La Collaboratrice dans l'Ombre est la couverture utilisée par toutes les collaboratrices de l'équipe qui souhaitent écrire des articles crus et criant d'une vérité sans filtre. Souhaitant exprimer et assumer leurs opinions sans pour autant blesser leur entourage immédiat, elles préfèrent alors utiliser le couvert de l'anonymat.

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1 Comment

  • Votre texte m’a particulièrement émue, c’est comme si vous décriviez mot à mot les sentiments qui m’habitent. Merci. Vos me permettez de toucher à une partie de moi qui était enfouie. Je me permet de laisser couler les larmes et ça me fait du bien. Nouvellement maman je me suis surprise à penser à ce petit début d’être que j’ai renvoyé il y a le même nombre d’année. Je n’étais pas prête à l’époque mais malgré cela j’ai sentie une culpabilité de prendre cette décision. Je sais que ma vie serait bien différente aujourd’hui et que je n’étais pas outillée pour l’accueillir mais n’empêche qu’une partie de moi songe…

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