sad little boy crying on the floor

Petit bonhomme, ne te cache pas pour pleurer

sad little boy crying on the floor

Petit amour. On n’ira pas voir grand-maman ce week-end. Ni les autres d’ailleurs. On n’ira plus chez grand-maman. Sa maison, ce n’est plus sa maison, ce n’est plus chez grand-maman.

Tu ne pourras plus t’asseoir sur ses genoux pour apprendre à jouer du piano. C’est fini, les discussions autour d’une tasse de chocolat chaud sur la balançoire. Je n’entendrai plus vos rires résonner pendant que vous planifiez votre prochain mauvais coup. Elle ne t’endormira plus en te fredonnant ses meilleurs airs de sa voix mélodieuse. Elle ne te bercera plus en te flattant les cheveux pendant des heures et des heures pour récupérer le temps perdu.

On a pleuré, on a souri, on a été émus, on s’est remémoré. On lui a dit combien on l’aimait et qu’elle allait nous manquer. Puis, on lui a dit adieu.

Ça fait longtemps déjà.

Et pourtant, on dirait que c’était hier. Ce sera toujours comme si c’était hier.

Tu courais partout dans l’église pendant que tes frères et sœurs restaient tranquilles avec leurs yeux larmoyants et leurs mouchoirs. Tu allais faire des grimaces, tu cherchais des sourires. Tu faisais le clown. Tu étais intenable, des pirouettes par-ci, des cabrioles par-là. Entre deux soubresauts de pleurs, mécaniquement, j’allais te chercher pour venir t’asseoir avec nous. Tu repartais et je retournais te chercher, mécaniquement, robotiquement.

Je me suis dit que tu étais encore jeune. Que tu ne saisissais peut-être pas la portée de l’événement, que tu ne comprenais pas ce qui se passait. C’était comme si pour toi, les funérailles étaient un rassemblement familial comme les autres, rien de plus. Pourtant, vous étiez tellement proches.

Je venais de perdre ma mère et j’étais tellement prise par ma peine que je suis encore convaincue aujourd’hui que j’ai été incapable de saisir la tienne. Je n’ai pas été réceptive. Je n’ai pas su. Je n’ai pas vu. Je n’ai pas entendu.

Puis, ce matin, plusieurs mois plus tard, je t’ai surpris sanglotant sous tes couvertes, le toutou qu’elle t’avait donné dans les bras, sa photo dans ta taie d’oreiller. Quand j’ai voulu savoir ce qui n’allait pas, en larmes,  le trémolo dans le fond de la gorge, reniflant entre tes mots, tu m’as demandé si on allait bientôt visiter grand-maman parce que tu t’ennuyais d’elle.

Petit amour.

Mon cœur s’est brisé en mille morceaux. Je suis restée figée, la boule dans la gorge, les yeux pleins d’eau. Le temps s’est arrêté. Une vague de souvenirs m’a engloutie. J’ai été incapable de te répondre sur le moment. J’étais bouche-bée.

Combien de fois as-tu pleuré comme ça en cachette sous ta couverte? Combien de fois suis-je passée près de ta porte sans t’entendre? Combien de fois?

Ébranlée, je me suis assise en pleurs au pied de ton lit. Dans un murmure étouffé par mes sanglots, je t’ai répondu qu’on irait pas voir grand-maman ce week-end. Ni les autres d’ailleurs. Qu’on n’irait plus chez grand-maman. Que sa maison n’était plus sa maison. Que ce n’était plus chez grand-maman.

Elle te manque à toi et elle me manque à moi, aussi.

Beaucoup.

On s’est couchés sur ton oreiller et on a jasé, on a ri, on s’est fait des câlins, collés. On a parlé d’elle. Tu en avais gros à raconter.

Tu le sais qu’elle ne reviendra pas. Tu l’as compris. Tu savais. Tu l’as toujours su. Tu ne voulais juste pas que ce soit vrai. Elle a tellement laissé un vide en toi que tu préférais te dire qu’elle était partie en voyage que partie pour toujours.

Je n’ai pas su voir ta douleur. Prise dans le tourbillon du quotidien, je n’ai pas su m’arrêter et te demander comment tu allais, toi. Je n’avais plus ma maman et je ne réalisais pas à quel point toi aussi tu n’avais plus ma maman.

Petit amour.

On retournera la voir, ensemble. Pour que tu puisses lui faire tes adieux alors qu’il était trop difficile pour toi de les lui faire plus tôt. On grimpera sa montagne, tu lanceras tes avions en papier dans l’éternité comme on a lancé ses cendres. Puis on s’assoira prendre un chocolat chaud en planifiant nos prochains mauvais coups en riant aux éclats et je te flatterai les cheveux en te chantant sa berceuse que j’aime tant. Longtemps, longtemps, pour récupérer le temps perdu.

Petit amour.

Petit bonhomme, ne te cache pas pour pleurer.

Crédit : Paul Biryukov/Shutterstock.com

Lily Côté

Maman dans la quarantaine investie dans une famille recomposée de cinq enfants du "terrible two" jusqu'aux ados, je réussis quand même à trouver le temps pour relaxer dans un bain avec un bon verre de vin à la main entre le travail, les tâches ménagères, les devoirs et les activités sportives et artistiques de tout la bande. C'est moi, la mère en running shoes qui est toujours à moitié peignée et que vous voyez arriver en retard à la finale du tournoi de ses enfants ou à la dernière minute pour le cours d'art. Avec mon premier, j'ai essayé de suivre tous les standards imposés aux mamans et j'ai échoué de façon magistrale. J'ai donc plutôt choisi d'être parent au rythme des saisons et de l'évolution de ma troupe. Un combat à la fois.

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