cage piège

Le guet-apens du net

cage piège
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On a le don, parfois, de créer nous-même notre insatisfaction par rapport à notre vie. En tous cas, moi je suis comme ça. Comme Sébastien le homard le chantait à la Petite Sirène, le gazon est toujours plus vert dans le marais d’à côté. Pis j’entretiens, un peu inconsciemment, cette insatisfaction en me vautrant impunément dans les pièges à clics, ces pages web aux titres accrocheurs avec un potentiel de perte de temps infini dont les auteurs font des revenus avec les pubs affichées sur chaque lien sur lequel tu cliques.

Ça adonne que je suis en congé de maternité. Ça adonne aussi que j’ai pris le rôle de cantine auprès du p’tit dernier. De ce fait, quand il est deux, trois, quatre heures du matin (ou de l’après-midi, t’sais), si je veux arriver à me décoller les yeux le temps de lui changer la couche, j’ai toujours mon cell à la main. Allez, jetez-moi la pierre, les vertueuses qui ne le font pas !

Toujours est-il que j’ai un petit guilty pleasure qui s’avère être de cliquer sur tous les liens qui te montrent des photos de chiens cutes ou de David Beckham en bobettes. Mais des pièges à clics de même, ça va pas te laisser partir après avoir regardé lesdites photos cutes, nenon. Ça va aussi te proposer de te perdre dans les dédales d’autres panoramas tout aussi palpitants les uns que les autres. Pis là, inexorablement, tu vas finir par tomber sur celui qui va te faire voir à quel point ta vie, tu la rockes pas tant. Le titre est souvent du genre « Elle se chicane avec son époux mais ne croyait jamais qu’il allait faire ceci… » ou « Alors qu’il est condamné par un fulgurant cancer du nerfs de la dent de sagesse, sa famille fait quelque chose de tout à fait inattendu… ». On me rapporte même avoir déjà lu quelque chose du type « 15 trucs pour être parfaitement heureux ».

Bien entendu, t’es vulnérable, tu viens de regarder des chiens cutes pendant une demi-heure, et en lisant le texte t’en viens à te demander si ta famille ferait vraiment ça pour toi, si ton mari comprendrait vraiment ta réalité de femme-au-foyer-mère-de-12-enfants-pas-d’auto-qui-retourne-aux-études-avec-90%-de-moyenne-tout-en-gardant-la-maison-propre. De fil en aiguille, tu t’auto-psychanalyses et coudonc, le monde est donc ben plus beau chez les autres que chez toi ! Tu trouves que tu pourrais en faire plus dans la maison, genre plier le linge avant même qu’il soit sec, genre attraper la graine avant qu’elle ne touche le plancher de la cuisine, genre avoir toujours le sourire (hahaha).

Une chose en entraînant une autre, parce que souvent les astres sont alignés pour une séance d’autocritique en bonne et due forme, t’en viens à te trouver laide, pas assez coquine, mauvaise mère, tu comprends soudain pourquoi t’es donc ben pas jetset ou pire, que si t’avais su ce que tu sais aujourd’hui quand t’avais vingt ans, rien ne serait pareil. Tu te retrouves avec ton bébé dans les bras, en train de le bercer, une petite larme impertinente te coulant sur la joue, pis tu trouves que tu fais pitié pas mal. Tu sais ben que tu vaux cent fois, mille fois, un million de fois mieux que ce que tu ressens à ce moment-là. Tu sais que t’as laissé ton cerveau choisir le miroir déformant pour ta réalité, et que c’est tout sauf le bon moment de faire le point sur tes réussites dans la vie, mais tu le fais pareil, pis tu t’en retournes te coucher le mou dans le cœur pis la lippe dans la face.

Une fois dans ton lit, t’as un flash qui te montre dans ta chaise berçante, avec tes sanglots, splendide de pathétique, un petit sourire apparaît et tu comprends. T’as succombé à la comparaison, chose plutôt commune. Peut-être que dans la journée t’as reçu un commentaire qui a effrité ta petite confiance ou que tes enfants ont été particulièrement démoniaques ce soir et que le lien maudit a fini de faire tomber le mur qui nous protège toutes de la déprime passagère. Tu te rends compte que t’es tombée dans le pattern de la fille qui dort pas assez ou de celle qui traverse une phase de trou. Moi j’appelle ça le syndrôme de Canal Vie. Souvent observé lors d’un abus d’épisodes de Décore ta vie ou de Quand passe la cigogne, ce syndrôme a muté vers ces pièges à clics depuis l’avènement du Tout-Puissant Facebook, le rendant encore plus ratoureux, le coquin.

Et le lendemain, t’appelles une amie (ou tu lui envoies un message sur Messenger, c’est selon) pis tu lui racontes ce qui t’es arrivée la nuit passée. Vous riez, tu ris un peu de toi, pis ça passe.

La bonne nouvelle, c’est que tu peux aussi faire l’exercice inverse en te rendant sur Facebook pour spotter une couple de pages qui font plus pitié de toi. Question de te comparer et de te consoler.

Reste à voir si c’est plus sain.

Michèle Tousignant

     MICHÈLE TOUSIGNANT

Michèle Tousignant

Maman de trois garçons, un "cinq ans, bientôt treize", un trois ans en terrible two perpétuel et un affamé/assoiffé en poussée de croissance depuis sa naissance, je me découvre un nouvel intérêt dès l’annonce d’une nouveauté maternité. Passionnée de course à pied, je m’implique afin d’aider les femmes à acquérir une saine image d’elles-mêmes. Vu la domination mâle à la maison, je tiens à ma part de rose et l’assouvit dans l’écriture, l’artisanat sous plusieurs formes et mes expérimentations de wannabe écolo-grano-végé pas toujours concluantes !

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