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Quelques jours après leur rencontre, Princesse avait judicieusement, bien qu’inconsciemment, oublié les détails moins glamour de ce premier rendez-vous qu’elle dépeignait maintenant auprès de ses amies Désillusionnée et Particulièrement-Naïve comme la rencontre fusionnelle de deux âmes sœur qui, après une nuit d’orgasmes simultanés, avait mangé un incroyable petit déjeuner avant de faire une promenade féérique au chœur du Vieux Québec sous la douce neige de Décembre (ça nous rappelle vaguement quelque chose…). Gentleman, de son côté, se gardait une petite gêne. La fille était somme toute correcte, la soirée pas pire mais il n’était pas certain de vouloir la revoir. Le destin avait sans doute prévu le coup car trois jours après leur rencontre, Gentleman trouva le foulard de Princesse sous le divan. Il eût un sérieux moment d’hésitation, craignant (et je cite) « d’être pogné elle avec si elle lui tapait finalement sur les nerfs ». Le souvenir de certains préliminaires bien à son avantage le convainquit toutefois de lui envoyer un message texte qui disait : « Salut, t’as oublié ton foulard chez nous ». Ce message, fût analysé sous toutes ses coutures pendant plusieurs heures par Désillusionnée, Particulièrement-Naïve et Princesse avant que cette dernière n’y réponde et la composition de la réponse fût tout aussi ardue que l’analyse de la missive d’origine. Princesse lui proposa finalement de prendre un verre, mettant ainsi Gentleman au pied du mur. Toujours dans le souvenir de ces fameux préliminaires qui resteraient longtemps gravés dans sa mémoire, il choisit de la revoir. C’est donc sur ces bases solides et sincères qu’ils entreprirent de se fréquenter de façon plus sérieuse et plus assidue.
Au cours des premiers mois, Princesse, normalement très casanière et on ne peut moins sportive, proposa de nombreuses activités surprenantes qui épatèrent Gentleman. Le couple fit plusieurs randonnées en montagne où elle sacra allègrement intérieurement en ne voyant sérieusement pas l’intérêt de monter une montagne pendant deux heures pour voir le top d’un paquet d’arbres en feignant l’émerveillement. Ils firent également du canot-camping, avec sueur, inconfort et cailloux dans le dos en prime et électricité en sus, où elle se jura de sacrer le feu à sa tente et d’acheter une roulotte de luxe 4 pièces et de toujours prendre un terrain de camping avec services si l’idée de camper revenait sur le tapis. Ils se rendirent également à un festival de musique rock où elle ne se lava pas pendant plusieurs jours au point tel qu’elle se roula en petite boule dans la douche au retour, sale et terrorisée par le souvenir d’un gars couvert de boue qui faisait caca à côté de sa tente. Elle accepta également de se joindre aux soirées de gars « hockey-ailes de poulet-bienvenue aux dames » de Gentleman deux fois par semaine avec un enthousiasme confondant, écoutant attentivement chaque partie (en perdant toutefois la rondelle de vue toutes les vingt secondes) et simulant l’euphorie totale lorsque l’équipe de Gentleman gagnait.
Gentleman, de son côté, participa activement à de nombreuses séances de magasinage de linge de filles toutes plus interminables les unes que les autres où il faisait bon fermer sa gueule et passer le moins de commentaires possibles (négatifs ou positifs) sous peine d’en entendre parler pendant une période plus ou moins infinie, écouta un nombre incalculable de films de filles dont il connaissait inévitablement la fin après 10 minutes dans une grosse doudou trouée, fit un nombre de massages dépassant clairement l’ensemble de ceux qu’il avait fait au cours de sa vie et s’adonna au flattage de cheveux de façon assidue.
Pendant cette heureuse période, Princesse et Gentleman dormirent en cuillère chaque soir, les rires fusèrent de toute part et l’alcool coula à flot. Rien ne semblait pouvoir tarir cette incroyable histoire d’amour outre le fait évident que le couple accumulait les compromis d’une façon complètement démesurée et excessive et qu’un jour, l’un et l’autre en auraient certainement marre.
Leur histoire pris le tournant inévitable qu’elle devait prendre lorsque Princesse demanda à Gentleman de l’accompagner shopper et qu’il lui servi le populaire et très entendu : « Tsé on est pas obligés de toute faire ensemble. » C’était le début de la fin des compromis faits en toute grâce. Afin de lui rendre la monnaie de sa pièce mais aussi pour pouvoir se libérer d’une activité qui lui pesait, Princesse refusa d’accompagner Gentleman à sa soirée de hockey la semaine suivante. Elle y retourna bien un peu plus tard mais sa face, qui s’allongeait d’heure en heure et de prolongation en prolongation, convainquit Gentleman de ne plus l’inviter. Le mois d’après, alors que Princesse trépignait d’impatience à l’idée d’écouter le dernier film de la série « Danse ta vie » mettant en vedette un paquet de danseurs qui n’ont aucun talent d’acteur, Gentleman décréta qu’il avait assez écouté de films quétaines et que c’était à son tour de choisir et ils écoutèrent un film d’action complètement débile (l’entendre ici au sens négatif du terme) aux dires de Princesse. Par la suite, afin de ne pas créer de conflit et de ne satisfaire les besoins de personne en particulier, ils se mirent à écouter des comédies plates et des films de science-fiction. Finalement, l’été suivant, Princesse avoua à Gentleman qu’elle détestait le camping et le sport en général alors que celui-ci, emballé, lui avait proposé une expédition de trois jours en forêt.
Deux ans après leur rencontre, Princesse et Gentleman cohabitaient mais ne partageaient plus que leur lit, leurs repas, des films plates, des épiceries et des commissions chez Walmart dont la facture exaspérait toujours Gentleman, un souper de couples mensuel où les filles parlait de bébés et les gars parlait de chars ainsi qu’une ballade hebdomadaire au Centre-Ville s’il ne faisait pas trop froid, trop chaud et qu’il ne ventait pas. La plupart du temps, après le souper, ne s’entendant pas sur le choix de l’émission à regarder, Gentleman levait les feutres et jouait à WOW jusqu’à 23:00 et Princesse s’adonnait à la lecture de livres quétaines et à la rédaction de listes de commissions et s’endormait vers 22 :30. Parfois, dans un moment de rapprochement, ils écoutaient des émissions de transformations extrêmes et de téléréalités policières à Canal Vie et une fois par mois, ils sortaient souper au restaurant pour entretenir la flamme.
Faute est de constater que le compromis les avait bien induits en erreur au fil du temps mais ils n’allaient pas se laisser abattre. Maintenant qu’ils avaient clairement beaucoup moins de points et de plaisir en commun, ils étaient prêts à passer à l’étape suivante : avoir un bébé. Comme ils se plaisaient à le dire, ils étaient rendus là.
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