tired mother

Je suis fatiguée

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Je suis fatiguée.

Fatiguée de ma grossesse qui s’est échelonnée sur quarante-et-une semaines et qui m’a fait prendre cinquante-cinq livres de plus à trimballer. Fatiguée d’avoir travaillé jusqu’à trente-huit semaines, d’avoir subi des réunions trop longues qui ne me servaient plus à rien et d’avoir dû affronter les transports en commun avec mon manteau d’hiver trop chaud sur le dos. Mais, je ne devrais pas chialer, parce que je n’ai eu aucune nausée en neuf mois.

Je suis fatiguée de mon accouchement de cinquante-cinq heures qui s’est terminé en césarienne, qui m’a laissée exténuer après deux nuits sans dormir, complètement droguée par les médicaments et en réel piteux état. Fatiguée d’avoir dû gérer un nouveau-né avec le bas du corps retenu par des agrafes. Mais, mon corps s’en est remis exceptionnellement bien, selon mon médecin. C’est rare. Je devrais être contente.

Je suis fatiguée du stress du premier bébé. Devrais-je lui donner une suce? Mais les infirmières à l’hôpital m’ont dit de ne pas le faire. Pourquoi il ne dort pas son quatorze à dix-sept heures par jour? Pourquoi il ne s’est pas réveillé à quatre heures du matin pour son boire habituel. Est-il malade? Est-il toujours en vie? Je devrais peut-être le coucher dans ma chambre pour éviter la mort subite du nourrisson, et non le laisser dormir dans sa chambre tout seul… Dois-je le réveiller ? Boit-il assez? Est-ce que je produis assez de lait? Si j’arrête d’allaiter, serais-je une mauvaise mère? Surtout qu’il n’est pas sorti par voie «normale» et n’a pas «avalé» mes microbes pour se faire des anticorps naturels… Devrais-je alors poursuivre l’allaitement, même si je déteste ça, au détriment de moi? Ai-je le droit de détester ça? Et toi, de l’autre côté de l’écran, qui me dis : moi, je veux le meilleur pour mon bébé, c’est pour cela que j’ai continué l’allaitement. Ne penses-tu pas que je ne veux pas le meilleur pour lui? Je suis fatiguée de ces jugements déguisés.

Je suis fatiguée de la routine, d’être seule dans la maison avec un bébé, en congé de maternité, alors que le monde dehors s’active, travaille, s’accomplit, évolue. Mais je ne me rends pas compte de la chance que j’ai d’être un an à la maison, car aux États-Unis, c’est six semaines et hop, on retourne au boulot. Des fois, juste des fois, j’aimerais ça passer en premier. Prendre mon café avant de le nourrir. Prendre une longue douche. Écouter Game of Thrones en rafale, sans penser au lendemain qui arrive vite et à la nuit incertaine que je vais peut-être passer. Parce que, oui, il fait ses nuits. Bébé dort entre dix et douze heures par nuit. On me dit que je suis chanceuse, qu’il y a pire. Que je l’ai facile. Qu’il y a des parents avec des enfants malades qui courent les hôpitaux. Que je ne devrais pas me plaindre, jamais. Être une vraie mère, c’est passer en deuxième, tout le temps. Et surtout, surtout, c’est de ne jamais regretter notre choix. Parce que, oui, des fois, ça passe par l’esprit, juste une seconde de trop avant que la culpabilité s’installe. Parce qu’une mère-modèle est une martyre qui ne dort pas, et qui aime ça.

Je suis fatiguée de mon corps de moins en moins beau. Mon corps d’avant qui m’a permis de jogger tous les kilomètres que je voulais sans manquer de souffle. Mon corps d’avant qui me permettait d’être confiante avec une robe moulante. Mon corps d’avant qui me permettait de travailler physiquement, peu importe la tâche : jardiner, nettoyer, pelleter. Maintenant, je le sens faible, vidé, exténué, presque malade. Je ne dois surtout pas dire que c’est parce que je me trouve moche, molle, déformée. Et il faudra bien sûr passer sous silence les pâtes carbonara, la pizza all-dressed ou les beignes que j’ai dévorés comme une boulimique, parce que la bouffe, des fois, ça me réconforte, comme d’autres, le vin. Parce que vouloir retrouver un corps pré-bébé et manger de la malbouffe, c’est être contre-productif. Et si je décide de me remettre en forme, je dois spécifier que je le fais pour ma santé et non mon apparence et, ultimement, pour que bébé ait la meilleure maman qui soit : bien manger, faire du sport, être zen. Parce qu’une vraie maman, ça sait où ce que ça s’en va, c’est cohérent dans ses actions. Ça sert d’exemple.

Si j’étais une vraie mère, je ne penserais pas à ça. Je devrais être fière d’avoir porté la vie en moi et mon bambin devrait me remplir d’une joie plus profonde que de simples vanités superficielles.

Je suis fatiguée d’avoir un nouveau stéréotype, un de plus, à porter. Femme/mère/épouse/putain/travailleuse/ménagère/amie/sœur/fille/parfaite.

Dois-je rentrer dans une seule case? Ou dois-je porter tous les chapeaux?

Crédit : Lenetstan/Shutterstock.com

Isabelle Loiseau

Nouvellement maman (un peu sur le tard) d’une petite fille, j’explore petit à petit les méandres de la maternité. Avec l’aide de mon conjoint, nous déambulons (parfois comme des zombies insomniaques) à travers les défis que met chaque jour sur notre chemin la parentalité. L’art d’être parent est plein de mystères et j’espère partager avec vous mes coups de cœur, coups de gueule et petites angoisses de toutes sortes.

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5 Comments

  • Ce texte est profond. Je veux juste te dire que moi je n’ai pas allaité car apres 2jours de travail et avoir fait l’aller retour pour la porte de St Pierre pendant ma césarienne je n’avais pas l’énergie pour quoique ce soit. G passé mon congé de maternité seule avec mon bb et g agis comme un automate. Je ne me suis pas plains mais j’aurais peut etre du car g atteris à l’hôpital. Demande de l’aide dans ton entourage. Aujourd’hui je suis en amour avec mon fils qui vient à peine de commencer à faire ses nuits à 15 mois mais j’ai fini par accepter mon rôle. Des fois g peur mais quand je le regarde tout disparait et mon fardeau n’en parait plus un! Je te souhaite ben du courage car etre mère est la chose la plus difficile et la plus heureuse qui soit. Tu verras…la fatigue fait partie de notre quotidien. Ne laisse personne te juger ? C légitime de se sentir fatiguée et épuisée. Bon courage

  • Cest tellement ça la façon dont je me sent mes si mes petits grandissent ( 3 et 5 ans) cette sensation ne me quitte jamais!!!

  • J’ai l’impression que j’ai moi-même écrit ce texte. Merci d’avoir mis par écrit ce qui tourne dans ma tête sans arrêt!❤️

  • A ma première, la grossesse et l accouchement ont été semblable a ce que tu décris. Pas de nausé, provoquer a 41 semaine et demi pour finir en cesa 40 heures plus tard.

    Mais, aucune pression des infirmieres…. Tant pour l allaitement ou les suces ou peu importe.. Ca ma aider a ne pas culpabiliser car allaité pour moi c etait non. J ai essayé… A mes deux enfants et ca marche juste pas, genre si j etait une vache, mon éleveur m’aurai pas garder pour manque de productivité.

    Et pour vrai, c est FOU comment les mamans se jugent entre elles…. On vit tous ca de facon différente, et oui, je me compte chanceuse d avoir des enfants em santé et de pas passer ma vie a lhopital. Mais ce n est pas pour autsnt que je n ai pas le droit de trouver difficile d’être dans le meme linge depuis 2 jours avec la meme toc sur la tête avec le bébé qui veux pas être déposer ou a écouter pour la 75 ieme fois gummy bear parce que cetait la seule affaire qui larretait de pleurer instantannement…

    Je me rappel même que quand des amis venaient me voir a la maison je pense que je leurs disait meme pas bonjour… Je leur garochait bébé..  » jva aller prendre une douche tiens » hahaha

    Mais malgres tout, apres 5 ans et demi et une deuxieme entre temps, je commence un peu a penser plus a moi et a laisser faire papa, meme si papa fait pas exactement comme je veux, moment donner, faut lacher prise!

    Merci pour ce beau texte!

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