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Ma chère fille que je ne connaîtrai jamais

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Ma chère fille que je ne connaîtrai jamais,

Parfois les gens me demandent si ma peine de t’avoir perdue s’est estompée, si je pense encore à toi avec autant de passion, même presque cinq ans après que tu nous aies quittés. Je leur réponds que c’est juste différent.

Parce qu’il n’y a pas une journée qui passe sans que j’aie une pensée pour toi. Des fois ça tord un peu le cœur, mais la plupart du temps, maintenant, ce sont des moments fugaces, comme des éclairs de chagrin qui viennent déchirer mon ciel. Alors si la question est : te roules-tu encore en boule pour hurler de chagrin, la réponse est non.

Je pense encore à toi plusieurs fois par jour. Je me demande encore à chaque jour ce que j’ai bien pu faire pour que mon corps te rejette ou cesse tout simplement d’être adéquat pour toi. J’aimerais tellement comprendre pourquoi tu n’es pas restée avec nous. C’est la brosse que j’ai virée le jour où on t’a conçue, papa et moi ? J’ai-tu mangé des sushis sans m’en rappeler ? Peut-être que je prenais des bains trop chauds ? Ou que la pharmacienne a oublié de me dire que les médicaments que je prenais à l’époque étaient incompatibles avec les vitamines de grossesse ? Ah, c’est parce que j’ai pas allaité ton frère, c’est ça ? C’est parce que j’ai tellement eu peur d’avoir des enfants si rapprochés ? Je sais, j’étais en colère quand j’ai découvert le + dans la petite fenêtre, je n’avais pas prévu que tu arriverais si tôt. J’ai même, l’espace d’un instant, pensé à ne pas te porter, est-ce pour ça que tu t’es envolée ?

Je me souviens que quand j’ai découvert que tu serais une fille, j’ai paniqué.

C’est que je ne suis pas très féminine, t’sais, pis je ne sais pas comment faire des tresses françaises. J’avais si peur que mes incapacités à faire fitter des morceaux de linge roses à paillettes fassent de toi la risée du CPE, j’en dormais pas la nuit. Je me demandais comment j’allais faire pour jouer aux Barbies. Dans mon temps, je leur coupais les cheveux et je passais mon temps à perdre leurs beaux vêtements.

Pis j’avais l’impression de trahir ton frère. Pour te porter, je devais l’envoyer à la garderie. Six mois, c’est ben jeune pour avoir une maman incapable de s’occuper de nous. J’allais-tu arriver à te donner de l’attention, même si je préférais de loin aller jouer au soccer au lieu de dessiner des robes de princesses ?

Pis le jour J est arrivé. Je me souviens de chaque seconde de cette journée. Comment j’ai voulu mourir avec toi. Comment je me suis transformée en zombie qui se raccrochait à un espoir absent. C’était impossible dans ma tête. Je me disais que ça se pouvait, hen, que les quarante-douze médecins que j’avais vus et qui m’avaient confirmé que tu étais bien morte pouvaient s’être trompés et que tu sortirais pareil pleine de vie, hurlant à plein poumons, pour me rassurer. Qu’on les voit partout à la télé, passé vingt-quatre semaines, les médecins qui sauvent tous les bébés, hen! Imagine à trente-deux.

Mais c’est pas ce qui est arrivé. Tu es née sans vie après plusieurs heures d’un accouchement silencieux provoqué. C’est bizarre, de tout entendre ce qui se passe. Normalement, quand t’accouches, t’es dans ta bulle. Là j’étais hyper attentive. Papa aussi était là, à essayer de faire abstraction de sa propre peine pour que je tienne le cap et que je ne m’effondre pas avant la fin de ta venue.

On t’a fait donner les derniers sacrements. J’avais si peur que tu sois seule à errer dans les limbes avec personne pour te rassurer, que j’en ai perdu mes principes de non pratiquante. J’avoue que j’ai même prié un petit peu pour essayer de convaincre Quelqu’un de te garder avec moi.

Pis les heures, les jours, les semaines, les mois se sont égrainés. Petit à petit, on s’est reconstruits. Ça n’a pas été facile, mais en quelque part, tu m’as tellement aidée. J’ai décidé d’agir comme si j’avais quelque chose à te prouver. J’ai décidé d’être la meilleure mère du monde pour toi. Tu m’as permis, par ta mort, d’apprendre à me connaître. D’apprendre à puiser dans ma famille, dans mon couple et en moi, tout le nécessaire pour me remettre sur la track. Et c’est comme ça qu’après avoir touché le plus profond de tous les fonds, j’ai entamé ma remontée.

Depuis ta mort, ma fille, j’ai découvert la vraie femme que je suis. Depuis ta mort, telle un phénix, je renais de mes cendres.

Merci, je t’aime

Maman

Michèle Tousignant
MICHÈLE TOUSIGNANT
Crédit : pexels.com

Michèle Tousignant

Maman de trois garçons, un "cinq ans, bientôt treize", un trois ans en terrible two perpétuel et un affamé/assoiffé en poussée de croissance depuis sa naissance, je me découvre un nouvel intérêt dès l’annonce d’une nouveauté maternité. Passionnée de course à pied, je m’implique afin d’aider les femmes à acquérir une saine image d’elles-mêmes. Vu la domination mâle à la maison, je tiens à ma part de rose et l’assouvit dans l’écriture, l’artisanat sous plusieurs formes et mes expérimentations de wannabe écolo-grano-végé pas toujours concluantes !

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5 Comments

  • WOW! Mêmes émotions, même culpabilité, même tout…. Sauf que dans mon cas, la grossesse était planifiée…. J’imagine que c’est venu s’ajouter dans la culpabilité… Même si, c’était probablement plus la surprise de devenir enceinte aussi rapidement… Essayer de trouver ce qui a pu se produire… Refuser la fatalité et toujours chercher un responsable… Facilement, la responsabilité, on la porte dans son coeur et sur ses épaules, étant certaine que nous étions la personne la mieux placée pour protéger ce petit être. Et pour le reste de sa vie vivre avec un SI…. Si j’avais fait ceci au lieu de cela, si si si si…. Le temps n’arrange pas les choses, le temps nous apprend à vivre sans… Et par chance, la vie nous réserve d’autres très beaux moments de vie… Après 17 ans , dans mon cas, je vois la meilleure personne que je suis devenue mais je vois surtout les yeux des trois enfants qui sont venus partager ma vie et la seule consolation que j’ai c’est que sans le départ de mes anges, mes trois autres ne seraient pas là … Mon arbre de famille compte trois belles feuilles et deux petits bourgeons…

  • Je suis vraiment ému devant votre texte,j’ai pleuré et je ne trouve pas des mots qui peuvent vous aider un peu,je ne peux même pas m’imaginer à votre place, courage madame.

  • Ayant perdu ma première fille, votre texte me touche et me rejoint, chaque histoire est différent mais cette peine insoutenable, ce vide, ce manque, on vit avec. On n oublie jamais. 3 ans après je pense régulièrement à ma fille. Mon trésor qui veille sur nous, qui nous a envoyé sa sœur. Mon ange qui m’a transformée.

  • Ma très chère Michèle!! Vous aviez mis des mots sur ce que je ressens à l’intérieur de moi à chaque jour mais que je n’arrivais pas à exprimer. Il est tellement cruel de vivre ce deuil. Il y a déjà douze ans pour moi. Ma princesse Véronique est partie tout doucement. Je n’ai malheureusement pas eu la chance comme vous d’avoir d’autre enfant. En plus, mon couple a également éclater. Aujourd’hui, je travaille en obstétrique. Curieux la vie, non?!? Je suis profondément blesser a jamais. Je poursuis ma route en espérant un jour pouvoir bercer mon bébé.
    Longue vie à vous et votre famille!!

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