ours abandonné

La mort de ton frère

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Tu étais haut comme trois pommes quand c’est arrivé. À deux ans, tu ne pouvais pas comprendre ce qui se passait, ton petit cerveau en ébullition n’était pas assez mature pour raisonner suffisamment. Mais tu ressentais bien des choses par exemple. À cet âge-là, vous êtes comme des petites éponges, vous ressentez toutes les émotions qui passent à des kilomètres à la ronde.

Tu m’as vu pleurer et tu as vu pleurer ton père aussi. Tu as même versé quelques larmes. Par compassion j’imagine. J’ai essayé du mieux que je pouvais de t’expliquer la chose, je t’ai accompagné dans ton deuil du mieux de mes connaissances, même si à ce moment-là, j’étais moi-même en plein cœur de la tempête. Tu sais, ça faisait quand même neuf mois que je te parlais de ton petit frère, que je te préparais à sa venue. Tu l’as caressé à travers mon ventre. Tu lui as même donné des bisous. Tu lui as légué la pièce où tu dormais depuis belle lurette, avec ton lit de bébé et bien d’autres choses, trop fier d’avoir ta nouvelle chambre de grand.

Je ne pouvais pas t’expliquer la mort n’importe comment. Même moi, je ne savais pas comment me l’expliquer. Mon plus grand souhait dans ce drame, c’était que toute la famille s’en sorte saine d’esprit. Particulièrement toi. Parce que tu es tellement fragile. Et parce que tu n’as pas idée à quel point je t’aime et que je veux ton bien. Alors je t’ai lu des livres sur la mort, je t’ai parlé de ton petit frère, juste assez pour que tu saches qu’il fait partie de la famille, mais pas trop pour que tu en fasses une fixation. Je t’ai montré des photos de lui. Et je t’en montre encore aujourd’hui.

J’en ai voulu aux gens qui te disaient que ton petit frère était au ciel. Parce que pour toi, un petit frère au ciel, c’est bien que trop concret. T’aurais pu vouloir voler l’échelle de ton grand-papa pour monter jusque-là. Non, je ne voulais pas que tu t’imagines qu’il flottait là, dans les nuages. Ça t’aurait trop mêlé. La mort, c’est supposé être abstrait et je voulais que ça le reste. Pour que tu te fasses toi-même ta propre idée de ce qui se passe après. Personne ne peut décider à ta place.

J’ai été crue. La mort, c’est quand le cœur arrête de battre. C’est quand on ne peut plus continuer à vivre. Et personne ne sait ce qui se passe après. La mort, ça fait de la peine. C’est ça la mort, c’est frette de même.

Je me suis accrochée à toi. Subtilement. Je ne voulais pas que tu deviennes la grosse bouée de sauvetage de mon naufrage, plantée là, pour secourir ta pauvre mère. Alors que je me suis retenue. Si je m’étais écoutée, je serais restée collée à toi chaque seconde et je t’aurais enfermé dans une bulle de verre, pour que toi, il ne t’arrive rien.

J’avais perdu toute mon innocence de maman. Je savais maintenant que la vie pouvait être cruelle au point de m’enlever ce que j’ai de plus précieux au monde. Si je me suis levée du lit chaque matin avec ma peine grosse comme l’univers, c’était parce que je savais que tu avais besoin de moi. Et parce que ton sourire me faisait tellement du bien. Mais surtout parce que moi, j’avais besoin de toi. Mais ça, je ne te l’ai jamais dit.

J’aurais aimé ça que tu n’aies pas à vivre ça. Tu sais, j’aurais vraiment voulu te faire croire que la mort c’est quand on est vieux. Mais non, la mort c’est cruel comme ça. Ça peut frapper n’importe quand, même à quatre jours. Sauf que je te l’ai expliqué souvent, pour ne pas que tu sois effrayé, que tu es en santé, que tu es jeune, qu’on prend soin de toi et que tu n’as pas à craindre la mort à ton âge. Parce que oui la mort, souvent, c’est quand on est vieux. C’est difficile à comprendre hen ?

Aujourd’hui, je suis fière de nous. On est passé à travers. On a encore de la peine. Mais on réussit à la vivre et à se soutenir tous les trois. Maintenant tous les quatre.

Chaque année, on souffle des bougies pour la fête de ton petit frère, on regarde des photos de lui et on pleure.

Et c’est drôle à dire, mais ça fait du bien.

Maman Yin Yang
MAMAN YIN YANG
Crédit : pixabay.com

Maman Yin Yang

Maman, femme et professionnelle à temps plein, j’essaie d’être à la fois la meilleure petite sœur, amie, collègue, descendante et voisine à temps partiel. Alors pourquoi ne pas ajouter un autre défi et tenter de devenir à mon tour la blogueuse qui saura vous faire sourire, même dans vos pires moments? Maman de deux garçons, un grand et un plus p’tit et mamange d’un petit ange qui souffle ses bougies du haut de son petit nuage, je vous confirme que ma vie est une succession de rebondissements qui sauront sans aucun doute être les précurseurs de billets fort distrayants!

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1 Comment

  • Wow quel beau texte !! Tres touchant !! Merci de ce partage. J’y ai reconnu un peu de ce que nous avons vecu aussi. Un sujet encore trop tabou que le deuil des bebes. Ca fait du bien de lire et de raconter .

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